Éternels éphémères ou écrits sur du sable
À la question :
“Qu’emporteriez-vous sur une île déserte ?”
Je réponds invariablement depuis mon adolescence :
“Du papier et des crayons pour écrire.”
Car les mots sont pour moi des compagnons indispensables. Mais j’ajoute aussitôt :
“J’emporterais aussi mes reproductions des tableaux de Wojtek Siudmak.”
Sur une île d’écrivain, il faut une malle au trésor et les images de Siudmak sont des joyaux. Fenêtres ouvertes sur le monde, les mondes, les tableaux de Wojtek scandent ma vie comme une respiration. J’y trouve l’Intime avec les si jolis visages de ses filles, le Sacré avec les froissements d’un Christ de papier, l’Immense avec des cathédrales de roches flottant dans un vide rempli d’âmes, l’Humain dans des corps qui s’arrachent à la glaise primale.
Assise sur mon île déserte, je feuillette et je voyage.
Je pars vers le passé… et je me revois, jeune femme fébrile lors de notre première rencontre. Enfin, il était là. Je le voyais de dos.
Il se tenait devant ses tableaux exposés dans un congrès de science-fiction.
Je m’approche et je dis :
“J’ai lu que vous étiez né un 10 octobre…”
Il se retourne, étonné. Avec son accent indéfinissable et un sourire que je n’oublierai jamais, il me regarde et répond :
“D’habitude on me dit : J’aime bien vos tableaux… Pourquoi avoir remarqué ce détail ?
– Parce que je suis née un 10 octobre et que moi, j’adore vos tableaux.”
Au souvenir de la joie absolue qu’il m’a faite en m’offrant de peindre la couverture de mon premier roman, je suis tentée de lever mon verre pour trinquer avec lui.
Le sable de mon île devient alors cristal pour contenir un Goutte d’Or, un des grands crus de mon village en Bourgogne : un Meursault, puisque je suis née dans la patrie du vin blanc préféré, que dis-je, vénéré, de Wojtek !
La nuit descend sur la plage. Je ne vois plus guère les images posées sur mes genoux, mais je regarde les étoiles. Des tableaux plein les yeux, je pars vers l’Ailleurs. Cet “ailleurs” qui m’a toujours inspirée, ce “flou” comme dit Wojtek qui nous réunit, lui et moi, dans notre fidèle amitié. Balance… constellation double.
Là-haut, il y a des soleils, là-haut, il y a des mondes, là-haut, il y a des îles, et sur une de ces îles, j’en suis sûre, quelqu’un contemple le ciel et regarde la Terre roulant sous un doigt de géant. Celui-là voit mon île et de ses yeux flottants qui disent l’Espoir, il ou elle admire par-dessus mon épaule les tableaux de Siudmak.
“Asseyez-vous donc, le sable est encore chaud. Vous prendrez bien un peu d’éternité ?”
Danielle Martinigol
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