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CHOPIN AVANT-PROPOS

Les nocturnes sont les œuvres les plus populaires et les plus belles de Chopin. La dénomination elle-même signifie l’obscurité et rappelle les images très romantiques de la lune et les émotions qui lui sont associées. Dans l’obscurité de la nuit tombante les contours s’estompent, les formes deviennent plus mystérieuses et les sons plus étonnants. C’est ainsi qu’est née la langue poétique composée de murmures, de bruissements de feuilles, de formes et de pensées énigmatiques.

L’imagination prend le contrôle de la réalité, nous fait entrer dans un univers plongé dans les ténèbres. L’invisible devient réel. Nous ressentons plus que nous percevons. On entend les mots de Shakespeare prononcés à mi-voix : “Nous sommes faits de l’étoffe de nos rêves et notre petite vie est entourée de sommeil”.

Le créateur devient le maitre d’une réalité générée. La musique et les visions sortent au-delà de l’ordinaire. Je représente dans mes tableaux aussi du réel, mais tous les éléments sont composés de manière à renvoyer à d’autres significations, aux expériences personnelles et à cette partie surréaliste de l’imagination désignée sous le terme d’un réalisme fantastique. La réalité est perçue à travers le regard de l’artiste proposant sa vision personnelle. La notion de surréalisme se réfère au domaine de l’irréel, à un état exceptionnel, un espace de rêves ce qui est en opposition à la notion de réalisme. Pour un artiste le terme “fantastique” explique en quelque sorte la surréalité de la vision présentée tout en gardant les apparences d’une vision réaliste.

L’association de l’expérience spirituelle exprimée de manière poétique par Chopin dans les nocturnes et de l’inspiration par les nocturnes présentée dans mes dessins consiste en l’imprévisibilité des moyens mis en œuvre pour les représenter. Chopin connaissait les mesures de construction des formes mais il utilisait la mélodie d’une manière innovante et imprévisible. Ses œuvres sont dominées par une harmonie exceptionnelle, un ordre cosmique passionnant. Il ne créait pas son œuvre en groupant les phrases mélodiques en appliquant des techniques d’algèbre, comme Mozart, mais de manière intuitive, avec une forte charge émotionnelle et une merveilleuse harmonie.

Les nocturnes de Chopin représentent toute une gamme d’émotions — de l’amour au pressentiment de la mort, désespoir, plainte, mélancolie et pitié laquelle, selon les dires du compositeur, définissait la nature de sa musique, notamment des nocturnes. Cet univers des expériences personnelles de Chopin détermine déjà la sélection-même de la tonalité de ses œuvres. C’était un système d’expressions défini par Christian F.D. Schubart (Ideen zu einer Ästhetik der Tonkunst). Une ambiance similaire régnait au baroque où les éléments réalistes conventionnels étaient représentés avec des symboles communément établis tout en construisant dans les tableaux des motifs énigmatiques vanités, aujourd’hui impossibles à déchiffrer. Il n’en reste que la beauté de l’œuvre et la virtuosité de l’exécution.

La tonalité de do dièse mineur signifie p.ex. une plainte due à l’amour insatisfait, Ré-bémol majeur — la souffrance et l’extase, la bémol majeur — la mort, Mi-bémol majeur — l’héroïsme, l’amour et la prière car elle comporte le chiffre 3 (bémols). Ensuite, il se caractérise par des modulations inattendues, des dissonances, des ornements mélodiques, des contrastes dynamiques et ceux de phrases, une alliance du lyrisme et du drame, de la simplicité et du raffinement.

Dans mes dessins je mets en œuvre les moyens ciblés sur sémiosis, interprétés de manière différente et non équivoque, inillustrables par exemple une expression éphémère de l’amour (dessin Destin éphémère), qui est également euphorique et nous élevant (dessin Exaltation). Les nocturnes de Chopin sont la musique de salons et d’un cercle d’initiés, mais du plus haut calibre. J’essaye de le présenter dans Le Cortège sans fin et les ailes déployées dans la Puissance cosmique renforcent ce vol. Je fais également référence au sens de l’existence. La Promenade vers l’infini est le squelette d’un oiseau avec des ailes trouées, tirant “un chariot de la vie”. Est-ce le désespoir, la mélancolie ou la pitié ? La Légende du lac avec un cavalier au cheval peut signifier la grandeur de Chopin, avec l’ombre d’une femme elle peut être une allusion à ladite “plainte de l’amour insatisfait”.

Tant pour le peintre que pour le compositeur, c’est l’expression d’une révolte, d’une lutte existentielle — avec le passé de la vie, de l’art.

Je souhaiterais ouvrir au spectateur et à l’auditeur la porte de l’immense espace de l’imagination où toute interprétation a un sens et enrichit la réception de la musique d’une proportion divine du nombre d’or et d’une harmonie cosmique.

Wojciech SIUDMAK