L’art fantastique existe depuis le début de l’humanité. Il est apparu avec sa capacité à percevoir la complexité du monde et de l’uni- vers. Les gestes simples et les mots ordinaires étaient insuffisants. Seul le geste artistique a permis à l’homme d’exprimer des contenus symboliques plus profonds. En regardant de plus près les peintures et gravures murales sur les parois des grottes de Las- caux, Cussac ou Chauvet, on voit que ce ne sont pas de simples représentations de scènes de chasse, mais des œuvres rituelles. Les bas-reliefs et les fresques représentés dans les grottes inaccessibles telles des sanctuaires sont et resteront un message mysté- rieux et précieux pour les générations futures.
Pour David Larkin, l’art fantastique est la beauté, la sublimation et la délicatesse, mais en même temps l’étrangeté et la monstruo- sité, tout ce qui entoure la réalité et la dépasse. Il est au-delà de la réalité. Selon Simon Watney, le concept de fantastique englobe tout ce qui va au-delà de la banalité. Ce sont alors des situations non conventionnelles qui dépassent la norme, notre expérience quotidienne et qui ne peuvent pas s’exprimer en mots. Watney ajoute, que “dans tout l’art fantastique on utilise des techniques réalistes parce qu’il aspire à atteindre du concret et à créer une illusion du réel, sans quoi, il ne resterait qu’un état spirituel ou une sphère de sentiments”.
La fusion de ces concepts opposés a donné le jour aux œuvres que nous appelons le réalisme fantastique. Le concept de réalisme comprend traditionnellement le désir de présenter le monde tel qu’il est. Dans l’art cependant, la réalité est toujours filtrée à tra- vers les yeux de l’artiste qui nous offre sa propre vision. Dans l’art fantastique, le réalisme renvoie au domaine de l’irréel, à l’état d’urgence, à la sphère des rêves. Le terme “fantastique” est pour l’artiste la justification de la surréalité de la vision présentée tout en conservant des apparences de réalisme. Grâce à ce paradoxe apparent, s’est développé un système artistique qui va au-delà des classifications artistiques traditionnelles de l’histoire de l’art. Le réalisme fantastique n’est pas un mouvement ou un style artistique, mais il constitue un axe vertical dans l’art occidental.
Le système artistique peut être imaginé comme une gigantesque chute d’eau à laquelle se jettent des rivières qui coulent de par- tout. Ce sont des personnalités de l’art qui alimentent en permanence l’axe vertical d’une nouvelle énergie qui émane de la vision personnelle du monde. Dans ce courant, on trouve des artistes éminents et originaux tels que Jérôme Bosch, Giovanni Baptiste Bracelli, Pieter Bruegel, Giuseppe Arcimboldo, Francisco de Goya, Monsù Desiderio, Hubert Robert, William Blake, Caspar Friedrich, Gustave Moreau, Noel Paton, Johann Heinrich Füssli, Max Klinger, Arnold Böcklin, Gustave Doré. Ce groupe de créateurs de l’art fantastique comprend aussi les surréalistes : Salvador Dalí, René Magritte, Paul Delvaux, Giorgio de Chirico.
Le réalisme fantastique englobe l’espace où les rêves deviennent une réalité. Charles Baudelaire l’a parfaitement saisi dans sa pré- face au “Paradis artificiel” : “Le bon sens nous dit que les choses de la terre n’existent que bien peu, et que la vraie réalité n’est que dans les rêves.” Le privilège de l’interprétation totalement libre des œuvres du fantastique peut mener le spectateur sur des pistes non prévues par l’auteur. Il s’agit alors d’une appropriation de la symbolique de l’image par le spectateur pour répondre à ses besoins individuels. Le tableau devient une sorte de miroir dans lequel se reflètent des émotions, des associations et des visions libérées du contrôle de la conscience. Les possibilités d’interprétations y sont infinies et chacun découvre dans le tableau un autre sens caché qui, même s’il ne répond pas à ses attentes, est un tremplin pour ses propres réflexions. Il crée et enrichit la relation entre le spec- tateur et l’œuvre ainsi qu’entre le spectateur et l’artiste. L’art fantastique est pour moi un reflet du monde, la façon dont je vois les choses. C’est souvent une vue d’ensemble qui, comme à vue d’oiseau, englobe les problèmes universels de l’humanité. Elle devient alors une vision presque cosmique. Comme nous sentons beaucoup plus que ce que nous apercevons, le créateur devient le maître d’une réalité générée. Il est le chef d’orchestre qui improvise toujours doctement une nouvelle symphonie dans laquelle se glissent des événements contraires, des êtres imprévus, une beauté sublime, des rêves et le destin prédit. S’effacent les frontières entre l’har- monie et les contradictions, la beauté et la laideur, le calme et l’agitation, les succès et les catastrophes, l’admiration et le mépris.
L’artiste n’est pas impliqué dans la création de traités et de théories complexes. Il focalise son potentiel sur la recherche de sa propre valeur artistique, unique et intemporelle. Il regarde de près les événements intellectuels, répond aux dernières découvertes en menant un dialogue unique avec les scientifiques. Constamment désireux d’atteindre de nouveaux sommets intellectuels et artistiques, il se lance de grands défis. Il suit la piste de la création que lui trace ou souffle l’instinct. Sur un champ infiniment vaste de la pseudo-réalité, la vérité et les illusions construisent ensemble des structures surprenantes qui sont les preuves et une illustration étonnante des possibilités de l’imagination. La profondeur réelle et l’ambiance spécifique de la fantaisie sont les éléments qui ont parfaitement caractérisé William Shakespeare dans “La Tempête” : “Nous sommes faits de la même étoffe que les songes et notre petite vie est entourée de sommeil.”